Interview de Guillaume Cravero, diplômé de Grenoble Ecole de Management et conseiller diplomatique au Ministère du Travail
Cette semaine, faites connaissance avec Guillaume Cravero, GEM ESC 2000, dont le parcours multi-facettes, rythmé par ses expériences en France, à Bruxelles ou aux Etats-Unis, trace un fil rouge très marqué entre l’international, les politiques publiques et l’ouverture d’esprit !
Retrouvons Guillaume peu après sa nomination en tant que conseiller diplomatique au Ministère du Travail, haut lieu de l’administration française très souvent au cœur de l’actualité. Guillaume œuvre à présent à faire entendre la voix de la France à l’échelle internationale… et c’est un job à plein temps.
Propos recueillis par Sébastien Aussal, GEM ESC 2007 et coordinateur Buzz Squad.
Sébastien : Bonjour Guillaume, peux-tu tout d’abord nous décrire ton parcours à GEM ?
Guillaume : J’ai intégré GEM en admission parallèle et j’ai eu un parcours très tourné vers l’alternance puisqu’elles ont rythmé mes 3 années d’études. C’est un parcours que je recommande puisque cela permet de développer son employabilité en travaillant sur des projets très concrets directement en entreprise et sur le long terme. Dès ma deuxième année à GEM, j’ai eu rapidement la chance d’intégrer le monde des médias qui m’attirait en rejoignant l’équipe de l’édition « Affaires » du magazine Le Point. Avoir une première expérience dans ce milieu de l’édition m’a notamment permis d’intégrer l’agence Business France 5 ans plus tard qui à l’époque éditait le journal le Moniteur du Commerce International, au sein duquel je travaillais. L’agence a toujours pour mission de développer le business de nos entreprises et de nos savoir-faire au-delà de nos frontières et cela m’a permis d’explorer rapidement de nouveaux territoires de jeux…
Quels sont les grands enseignements que tu retiens de ton passage à GEM ?
Une des grandes identités de GEM est notamment l’ouverture aux nouvelles technologies et Business France cherchait justement à recruter un online project manager pour lancer l’édition digitale de leur magazine et en 2003, il y en avait relativement peu ! Le fait de pouvoir utiliser de nombreux outils marketing digitaux et d’avoir une connaissance plus poussée des lancements de produits sur internet a vraiment joué en ma faveur.
De plus, GEM ayant fait très tôt le choix d’encourager les profils internationaux, j’ai rencontré de nombreux étudiants étrangers, ce qui a forcément alimenté ma réflexion et m’a permis d’être rapidement à l’aise dans un milieu inter-culturel. Ma première expérience à plein temps était d’ailleurs sur la Côte Ouest des Etats-Unis : j’avais été recruté par le Ministère de l’Economie et des Finances en tant qu’attaché commercial auprès de l’Ambassade de France aux Etats-Unis. J’ai été détaché à la Chambre de Commerce Franco-Américaine de Seattle, pour accompagner le développement des entreprises françaises dans le Nord-Ouest des Etats-Unis et analyser les tendances économiques dans des filières particulières porteuses comme l’aéronautique, l’agriculture ou les bio-techs. Nous recevions également des délégations officielles et je devais reporter à l’Ambassade.
Après être resté plus de 4 ans chez Business France jusqu’en 2007, tu souhaites ensuite t’orienter dans le domaine des politiques publiques : comment se fait la transition avec la CFDT à ce moment de ton parcours ?
Le profil d’un diplômé d’une grande école de commerce est effectivement rare dans une grande organisation syndicale comme la CFDT ! Je pense que j’ai eu la chance d‘être recruté par une Secrétaire Nationale qui était très ouverte et recherchait un assistant politique avec une connaissance transverse des entreprises. Cela m’a permis de découvrir le mode de fonctionnement d’un des partenaires sociaux clés en France. Les syndicats sont des organisations avec un fonctionnement extrêmement démocratique, qui valident systématiquement auprès de leurs membres les différentes positions qu’ils prennent. Sur le papier, cela est parfaitement cohérent, mais dans la pratique l’un de mes rôles était de faire en sorte que l’organisation puisse suivre le caractère urgent de l’actualité. Grâce à cette expérience, j’ai également pu approfondir de nombreuses problématiques de la représentation des salariés en France. C’est un atout quand on pense que le monde du travail se transforme très rapidement et va continuer de se transformer avec la digitalisation de l’économie.
Après plusieurs années et expériences à Paris, tu souhaites continuer la transition du business à des sujets encore plus politiques et ce, à l’étranger. D’où te vient l’idée de t’expatrier à Bruxelles ?
J’avais eu l’opportunité d’organiser et de participer à plusieurs débats et visites de travail sur le thème de l’Europe sociale et plus globalement de la construction européenne, pendant mes années parisiennes. C’était en tant que membre du Groupe des Belles Feuilles, une association qui vise à promouvoir l’Europe. Je voulais voir comment fonctionnait l’Europe de l’intérieur. Je suis ainsi parti de la CFDT au congrès suivant et j’ai pris un aller simple pour Bruxelles pour prospecter le marché du travail lié aux affaires européennes. Après 3 mois de recherche, j’ai répondu à une offre pour BusinessEurope qui représente l’ensemble du patronat européen et est également partenaire social des institutions de l'UE. Ils recherchaient un profil qui combinait à la fois ma connaissance des entreprises et du monde économique, l’expérience des affaires sociales et la connaissance des partenaires sociaux… Tout a très bien matché !
Tu as occupé cette fonction pendant plus de 7 ans au total. Comment s’est faite ton évolution au sein de BusinessEurope ?
BusinessEurope représente la position des entreprises auprès des institutions européennes dans le cadre du processus législatif européen et négocie avec ses partenaires syndicaux. Mon rôle était de regrouper les positions de tous les employeurs nationaux (le Medef en France, la BDA en Allemagne...), analyser leurs positions vis-à-vis des directives européennes, et de promouvoir ces positions. Au sein du département Affaires Sociales, j’étais également en charge du suivi du dialogue social européen, qui se devait d’évoluer en adéquation avec les bouleversements économiques et sociaux que nous vivions : bataille des compétences, inclusion, questions éthiques, développement durable. Je retiens surtout une collaboration fructueuse avec les institutions européennes, la Confédération européenne des syndicats (CES), mais aussi avec les nombreuses ONG et associations présentes à Bruxelles. Je pense également que le dialogue social est trop méconnu et sous-utilisé, en France, dans les entreprises, comme au niveau européen.
Lorsque les employeurs nationaux ne sont pas d’accord, est-il facile de trouver le dénominateur commun ?
A la CFDT, j’avais déjà abordé les questions de négociations nationales avec les employeurs donc j’avais déjà une bonne vision d’ensemble du processus : comment réconcilier des opinions divergentes et trouver des compromis sur la base d’un mandat… Au niveau européen, la négociation est aussi possible, ce qui implique donc une double conciliation : à la fois entre les organisations nationales elles-mêmes et ensuite avec l’autre partie. Et bien sûr, comme l’actualité le reporte souvent, ce n’est pas toujours simple de trouver un dénominateur commun, notamment dans le domaine très délicat des affaires sociales. Ce qui est parfois frustrant, c’est l’équilibre entre le temps court, plus politique, et le temps long de l’analyse. Je suis un ardent défenseur de ce qu’on appelle ‘evidence-based-policy’ (EBP), c’est-à-dire faire de la politique publique par la preuve, dont j’ai d’ailleurs étudié la théorie et les méthodologies à la London School of Economics and Political Science. Cela reste très difficile à mettre en œuvre, mais je crois que c’est la voie d’avenir dans les politiques publiques.
Est-ce pour cette raison - mener une politique axée sur les faits - que tu as été recruté au Ministère du Travail ? C’est en effet la dernière étape de ton parcours actuel, puisque tu es repassé de Bruxelles à Paris depuis la fin de l’été dernier.
Ce qui a joué en ma faveur c’est mon parcours multiple et ma connaissance des parties prenantes, notamment des partenaires sociaux. Il était logique pour moi de passer par l’étape gouvernementale. C’est d’ailleurs le mode de fonctionnement de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), agence onusienne tripartite basée à Genève, regroupant donc les représentants des gouvernements, des syndicats et des patronats. Je cumule donc une expérience avec les trois acteurs du tripartisme. Au cours de cette mission au sein du Cabinet de la Ministre du Travail, mon objectif était de défendre et renforcer l’Europe sociale, et ainsi de finaliser, avant les élections européennes et donc la nouvelle législature, les négociations sur un ensemble de textes législatifs importants pour la France et la construction européenne.
Tu as écrit par ailleurs un ouvrage de management sur la place de la créativité dans les organisations, pourquoi ?
Ce livre a été coécrit avec Barbara Albasio, entrepreneuse qui a fondé Sensi Ateliers Arts & Sens, en étant convaincu qu’il fallait replacer l’humain au cœur des organisations. Les organisations sont en quête de sens. Le meilleur moyen redonner du sens c’est de faire confiance à l’humain, d’écouter ses émotions. Il n’y a pas de meilleur véhicule que l’expression artistique pour canaliser cela. J’ai pu l’expérimenter avec Barbara lorsqu’elle a lancé ses premiers ateliers. L’impact était tel sur les individus et le groupe, que nous avons décidé de partager notre expérience dans un ouvrage qui propose des cas pratiques, des interviews de leaders, managers, artistes, consultants ou encore chercheurs en neurosciences, convaincus qu’il faut s’ouvrir à la diversité des profils et des talents en leur permettant d’exprimer toute leur créativité et leurs idées. Pour réussir il faut réessayer, échouer, recommencer, persévérer. C’est ce que fait l’artiste tout le temps et ce que le manager, ou chacun d’entre nous, ne fait pas assez. Il faut prendre des risques, s’améliorer soi-même et penser au collectif.
Enfin, quel conseil donnerais-tu à un futur Alumni sortant de GEM ?
Tout d’abord, je suis très attaché à la notion d’égalité professionnelle. Mon premier message serait donc de garder en tête que le monde du travail donne souvent un cadre très normé, que ce soit pour les hommes ou les femmes. Les femmes sont désavantagées car le système n’a très souvent pas été construit avec elles ou pour elles. Tout le monde doit participer à accompagner le changement de paradigme que nous sommes en train de vivre, avec également l’émancipation sociale – qui concerne plus les pays en développement que les pays développés, et encore –, la transition écologique, le vieillissement démographique. Ainsi, le choix d’une carrière doit à mon sens s’inscrire dans une perspective de long terme liée à des valeurs que l’on souhaite porter. La curiosité est un trait de caractère que les employeurs ne valorisent pas assez. Nous sommes parfois dans des environnements très formatés et une expérience à l’étranger permet de réaliser qu’il n’y a pas qu’un seul schéma de pensée. L’ouverture au monde et aux autres est ainsi essentielle.
Nous souhaitons à Guillaume Cravero un maximum de succès dans ses fonctions actuelles. Excellente continuation et nous espérons le croiser bientôt à GEM, pour prolonger le débat et profiter de ses conseils forgés au fil de ses nombreuses expériences !
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